I. Recruter des investigateurs et des sujets

Chaque investigateur acceptera de consacrer du temps pour votre étude en échange de contreparties qui lui sont propres. Des travaux ont analysé les facteurs influençant leur participation  :

  • Charge de travail :
    • Temps de recueil
    • Facilité de la méthode de collecte des données
  • Caractéristiques :
    • Jeunes médecins (< 50 ans)
    • Cabinets de groupe
    • Patientèle correspondant à la population de l’étude
  • Intérêt de l’investigateur : sujet de l’étude et ses conséquences
  • Relation investigateur – chercheur :
    • Méthode d’invitation des participants
    • Relation avec l’équipe de recherche
    • Information et accompagnement des investigateurs
    • Communication de l’équipe de recherche
  • Reconnaissance :
    • Financière
    • Universitaire : participation d’une équipe de recherche académique
    • Possibilité de faire entendre leur remarque dans le processus de recherche.

II. Elaborer un questionnaire

A. Choisir le type de questionnaire

Plusieurs types de questionnaires sont disponibles :

  • Auto-questionnaires écrit : envoyé par voie postale ou par mail, le sujet a le temps d’y répondre et de réfléchir à ses réponses.
    • Avantage : peu coûteux, il permet de répondre à questions intimes ou taboues.
    • Inconvénient : taux de réponse bas et ne permettant pas de clarifier certaines réponses.
  • Questionnaire oral rempli par téléphone par un enquêteur :
    • Avantage : rapide, haut taux de réponse
    • Inconvénient : coût
  • Questionnaire oral rempli sur entrevue par l’enquêteur :
    • Avantage : taux de réponse très élevé
    • Inconvénient : coût, nécessité de se déplacer

B. L’étape de conception

  • Quel outil ?

De nombreux outils permettent de créer un questionnaire de manière informatique.

Limesurvey : gratuit, open source

Google form : gratuit mais détenu par un Google (on ne sait pas vraiment ce qu’ils font des données)

 

  • Quelques conseils :
    • Lors de votre recherche bibliographique, identifiez les scores et grilles utilisés dans les autres études pouvant s’appliquer à votre travail. Vérifier qu’ils ont été validés, notamment en langue française. En effet, la traduction des questions peut entraîner des réponses différentes. Des études spécifiques visent à démontrer la fiabilité et la reproductibilité d’un score traduit en français. Vous pouvez retrouver les scores avec Google ou sur proqolid
    • Optimiser la forme du questionnaire : afin de donner envie aux sujets de répondre à votre questionnaire, assurez-vous de le rendre agréable.
      • Ordre des questions : organisez vos questions par groupe en leur demandant de répondre initialement à des questions faciles, stimulantes, en rapport avec l’étude pour maintenir leur motivation. Les questions plus personnelles, plus difficiles seront posées à la fin.
      • Formulation : les questions doivent être claires, sans faute de français, neutres, courtes, accompagnées de la consigne de réponse (ex : « cochez la bonne réponse »)
      • Durée : un questionnaire ne doit pas dépasser 15-20 min. Attention aussi au nombre de questions qui ne doit pas être trop élevé car il est souvent donné sur la première page du questionnaire (sur Limesurvey) et risque de décourager votre sujet.
      • Prévoir un pré-test : tester le questionnaire sur quelques sujets pour identifier les questions à reformuler, calculez la durée moyenne du questionnaire et corrigez les erreurs.
    • Pensez à coder les questions : chaque question sera identifiée par un code facilitant son analyse dans un logiciel statistique. Par ex : coder la question « quel âge avez-vous ? » par « age ».

 

  • Type de question :
    • Fermée : question proposant une liste limitée de réponses.
      • Elle doit être réservée pour des questions simple, sans ambiguïté.
      • Simple à comprendre par le participant et simple à traiter par l’investigateur
      • Ex : sexe ? homme, femme.
    • Préformée : liste de réponses élaborées durant la pré-enquête ou durant l’enquête.
    • Ouverte : réponse libre.
      • Longue à remplir, faible taux de réponse
      • Difficile à analyser car réponse qualitative et non quantitative.
      • Ex : selon vous, pourquoi proposeriez-vous ce médicament à vos patients ?
    • Mixte : réponse proposée ouverte et fermée
      • Ex : quelle profession exercez-vous ?
        • Médecin
        • IDE
        • Autre (Précisez : )

 

  • Types de réponses :
    • Numérique
    • Texte
    • Echelles :
      • Echelle ordinale (numérique ou pas)
        • Ex : entre 0 et 10, quelle est l’intensité de votre douleur ?
      • Echelle visuelle analogique :
        • Ex : placer l’intensité de votre douleur sur cette échelle. A gauche vous n’avez aucune douleur, à droite vous avez une douleur extrêmement intense.
      • Echelle de Likert : échelle de jugement répandue dans les questionnaires psychométriques par laquelle la personne interrogée exprime son degré d’accord ou de désaccord vis-à-vis d’une affirmation (wiki).

 

  • Pièges à éviter  :
    • Question double : la question en comporte 2.
      • Ex : Pensez vous que l’IVG médicamenteuse est fiable et faisable au cabinet ?
    • Réponses induites : influence de la réponse dans la question biais de prévarication.
      • Ex : Pensez-vous que l’IVG médicamenteuse est faisable au cabinet malgré le risque élevé de complication ?
    • Effet halo (wiki) : est un biais cognitif qui affecte la perception des gens ou de marques. C’est une interprétation et une perception sélective d’informations allant dans le sens d’une première impression que l’on cherche à confirmer (« il ne voit que ce qu’il veut bien voir »). Cet effet se manifeste notamment dans le fait que les réponses à un item d’un questionnaire sont induites par les réponses précédentes, par souci de cohérence.
      • Ex :  » Pensez-vous, comme le réputé professeur de pneumologie le Pr Duchemol, que le tabac est la principale cause de mortalité en France ?  » La réponse peut être influencé par le fait que vous ayez mis le nom d’un professeur « reconnu » dans la question.
    • Jargonnage (wiki) : façon de parler confuse propre à un individu (idiolecte à distinguer d’un jargon, sociolecte, propre à un groupe social)
      • Ex :  » Pensez-vous que les MédG sont aptes à suivre des nourrissons ? » Ici le mot « MédG » correspond à médecin généraliste et peut ne pas être bien compris.
    • Imprécision : l’énoncé de la question peut être interprété de manière différente.
    • QCM (Question à Choix Multiple) sans alternative : les réponses possibles ne correspondent pas au choix de réponse voulu.
      • Ex :  » Quel est le motif de consultation le plus fréquent dans votre cabinet ? la fièvre chez le nourrisson, la dépression ou l’abcès cutané ?  » Le répondeur est frustré car il aurait aimé dire que c’est le renouvellement d’ordonnance mais il ne peut pas.
    • Regroupement :
    • Mots impliquant :
    • Double négation :
    • Echelles inversées : l’échelle utilisée est l’inverse de celle qu’on a l’habitude d’utiliser.
      • Ex :  » Entre 0 et 10, quel est l’intensité de votre douleur sachant que 0 est la douleur la plus intense imaginable ?  » 

III. Gestion des données

Une fois les données récupérées dans une base, il va falloir préparer la base, l’harmoniser et la nettoyer pour qu’elle soit exploitable par des logiciels statistiques.

A. Coder

Le codage des données correspond à la transformation des variables et de leurs modalités sous forme de code. La base de données correspond à un tableau avec pour

  • colonne : les variables,
  • ligne : les sujets,
  • cases:  les données.

 

Pour coder on va identifier

  • Une variable par un nom (ou un chiffre).
    • Par ex : la variable « profession exercée » pourra être identifiée par le code « job » ou le chiffre  » 1 « 
  • Une modalité de variable par un nom ou un chiffre.
    • Ex : la variable « profession exercée » a plusieurs modalités : « médecin », « IDE », « sage-femme ». On a plusieurs possibilités pour coder ces modalités :
      • Un nom : « med » pour « médecin », « ide » pour « IDE », « sf » pour « sage-femme »
      • Un chiffre : : « 1 » pour « médecin », « 2 » pour « IDE », « 3 » pour « sage-femme »
      • Un chiffre + code de la variable : : « job1» pour « médecin », « job2 » pour « IDE », « job3 » pour « sage-femme »
      • Par convention, pour les variables qualitatives binaires, on code en 1 pour oui/présence et 0 pour non/absence
    • Au niveau sémantique, attention à utiliser des caractères acceptés par les logiciels statistiques

B. Anonymiser

Afin de garantir l’anonymat aux participants, on va les remplacer par des identifiants.

Sur un fichier, identifiez chaque sujet (nom, prénom, date de naissance) par un identifiant.

Sur le fichier de recueil (le questionnaire par exemple), ne mettez que l’identifiant du sujet.

C. Saisir

L’étape la plus fastidieuse et la plus chronophage de la recherche ! Il va falloir saisir sur un même fichier (souvent dans Excel ou Epidata), toutes les données de sujets de l’étude.

Le risque d’erreur de saisie est important (surtout qu’on a l’habitude de le faire le soir, le we ou de repos de garde…).

Vous pourrez limiter ce risque en créant des masques de saisie : le logiciel va restreindre les données qui peuvent être rentrées. Si votre valeur n’est pas conforme, un message d’erreur vous le signalera. Par ex : si vous n’incluez que des sujets majeurs, vous pouvez restreindre la saisie de l’âge par des nombres entiers entre 18 (et 100).

D. Contrôler la qualité

Une fois toutes les données saisies, vous devez contrôler l’homogénéité et la qualité de votre base de données.

  • Valeur aberrantes : vérifier que certaines valeurs ne sont pas incompatibles avec votre étude. Vous pouvez examiner vos sujets ligne par ligne, utiliser la fonction filtre ou la fonction règle sous Excel. Ex : un sujet âgé de 344 ans ou une femme qui a fait une IVG (Interruption Volontaire de Grossesse) est saisie comme étant G0P0.
  • Cohérence externe : vérifiez que vos données sont comparables avec celles de la littérature. Ex : si vous avez une population avec 50% de CMU (Couverture Mutuelle Universelle), c’est que vous avez probablement inclus une population particulière.
  • Variabilité interopérateur : vérifiez que les données recueillis par les investigateurs sont similaires. Par ex : si vous avez plusieurs médecins généralistes qui évaluent la qualité de vie de patients via une échelle standardisée, vérifiez qu’ils ont a peu près la même moyenne et même distribution.

E. Geler

Une fois la base nettoyée et harmonisée, il faut la figer afin de ne pas faire de modification. (Fonction « figer les volets » dans Excel)

F. Manipuler

Votre base est prête à être analysée par un logiciel statistique.

Une dernière étape optionnelle peut vous aider à organiser votre base sur Excel. Vous pouvez organiser vos tableaux en utilisant la fonction insertion/tableau ou tableau croisé dynamique. Ces tableaux vous permettront d’avoir un autre regard sur vos données et de faire quelques statistiques simples.

G. Exporter

Dernière étape, l’exportation consiste à enregistrer vos données sous un format compatible avec votre logiciel statistique.

Le format le plus commun est le .csv (comma-separated value). C’est un format ouvert (à la différence de .xlsx détenu par Office) représentant les données d’un tableau par des valeurs séparées par de virgules.

 

Ex : le tableau suivant

Id Age Sexe
001 12 H
002 45 H
003 32 F

sera représenté par les données suivantes sous csv :

Id,Age,Sexe

001,12,H

002,45,H

003,32,F

H. Conserver

Vous êtes dans l’obligation de conserver vos données, dont certaines jusqu’à 40 ans. Assurez vous de les conserver dans un lieu fermé à clef, à l’abris de l’humidité.


III. En recherche qualitative

Nous allons aborder principalement les techniques de recueil des données lors des entretiens car ce sont les méthodes les plus utilisées en médecine.

A. Le carnet de bord

L’ensemble des notes prises sur le terrain sont contenue dans un carnet de bord.

Il contient plusieurs parties :

  • Les comptes rendus : à partir de ce qu’il voit, le chercheur va essayer de transformer ses observations par des mots, en du langage. En pratique, c’est un texte rédigé et adressé issu d’une description neutre et factuelle de l’observation. On retrouve dedans :
    • Le verbatim
      • Définition  : compte-rendu intégral, mot à mot, d’un entretien. Il peut comporter des caractères spéciaux pour indiquer les expressions non verbales.
        • Anglais : verbatim, transcript
        • Synonyme : corpus de données
      • Les comportements non verbaux
      • L’organisation spatiale
      • Les schémas, cartes, tableaux
    • Les notes et mémos : à partir de ce que va ressentir, le chercheur va essayer de le transformer en langage. Il va exprimer ses émotions, ses remarques, ses idées, son vécu…
    • Les premières pistes réflexives issues d’un codage spontané (codage primaire).

 

Ce travail nécessite de bonnes capacités observationnelles et réflexives. La prise de note sera claire et détaillée mettant à l’épreuve la rapidité et la mémoire du chercheur.

 

Pourquoi c’est important ?

Le carnet de bord constitue les données brutes sur lesquelles va travailler le chercheur. Il a un rôle majeur et va permettre de :

  • Démarrer une réflexion et développer des hypothèses (induction)
  • Constituer une base de données brutes exploitable
  • Justifier ses résultats
  • Permet retracer le parcours réflexif

 

Ex :  » Alors que les étudiants semblaient sur le point de partir (2 étudiants du fond avaient remis leur manteau et leur sac à dos), l’un d’entre eux dit en s’adressant à la classe : « On se casse ? ». Le professeur rentra dans la salle avec 15 min de retard, transpirant. « Excusez-moi du retard, j’ai été retenu au cabinet pour une urgence » dit-il d’une manière sincère (tête fléchit, main sur le cœur, regard vers le bas). Les étudiants se rassoient et il semble qu’un ou deux laissent échapper un soupir. Une relation défavorable semble s’être déjà installée entre l’enseignant et les enseignés. Il avait déjà été en retard à la dernière session que j’avais observée… « 

B. L’enregistrement et la transcription

1. L’enregistrement

  • Définition  : les entretiens doivent toujours être enregistrés. L’enregistrement permet de dépasser les « impressions » laissées par l’entretien, qui peuvent être fondées sur quelques moments marquants ne correspondant pas nécessairement à l’essentiel de ce qui a été dit. Il donne accès à l’ensemble du discours de l’interviewé, afin de faire ressortir la parole exacte de l’enquêté ; l’analyse pouvant ainsi se faire en plusieurs étapes après lecture et relecture de l’entretien. Il met à disposition les citations fidèles de la parole des interviewés qui serviront de « preuve » de l’analyse de l’entretien.
    • Anglais : recording
  • Conseils
    • La plupart des enregistrements sont audio mais vous pouvez aussi utiliser la vidéo.
    • N’oubliez pas de :
      • Demander l’accord des participants
      • Vérifier la charge de l’appareil (ou prévoir des piles)
      • Vérifier la durée d’enregistrement possible (ou prévoir cassette et carte mémoire)
      • Tester le bon fonctionnement du matériel ainsi que la qualité d’enregistrement (bruits parasites, voix trop fort ou trop faible)

2. La transcription

  • Définition  : première étape de l’analyse des données qualitatives, consistant à représenter sous forme écrite des données orales ou visuelles, et permettant de s’approprier progressivement les propos de l’interviewé. Certains auteurs préconisent de ne noter que les éléments significatifs ; d’autres de respecter une fidélité intégrale au discours tenu, incluant les aspects non verbaux (hésitations, silences, tics de langage, mimiques, etc.) ; d’autres encore de ne noter que les éléments directement en lien avec la recherche. En pratique, la (re)transcription doit être adaptée aux objectifs de la recherche.
    • Anglais : transcribing
    • Synonyme : retranscription
  • Conseils :
    • Réalisez-la le plus rapidement possible afin de vous souvenir du maximum de détails
    • Ne sous-estimez pas l’ampleur du travail ! On estime à 1-2 jours de travail pour un entretien d’1h30.
    • Utilisez les mots de l’informateur même si cela est répétitif, grammaticalement incorrect ou ne donne pas de sens.
    • Les passages non compréhensibles doivent être entre crochets. Ex : [passage non compréhensible]
    • N’oubliez pas d’y ajouter des éléments non verbaux, des bruits ou des pauses. Ex : [rire], [silence durant 20 secondes].
    • Si vous réalisez une transcription papier (bonne chance…), laissez de la place pour les remarques et les codes.
    • N’hésitez pas à investir ou à vous faire prêter une pédale de commande pour machine à dicter. Vous gagnerez du temps…

 


1.
Letrillart L, Bourgois I, Vega A, Cittée J, Lutsman M. Un glossaire d’initiation à la recherche qualitative (2ème partie). Exercer [Internet]. [cited 2016 May 4];20(88):106–12. Available from: http://www.exercer.fr/numero/88/page/106/
1.
Letrillart L, Bourgois I, Vega A, Cittée J, Lutsman M. Un glossaire d’initiation à la recherche qualitative (1ère partie). Exercer [Internet]. [cited 2016 May 4];20(87):74–9. Available from: http://www.exercer.fr/numero/87/page/74/pdf/
1.
Association française des jeunes chercheurs en médecine générale, Frappé P. Initiation à la recherche. Neuilly-sur-Seine; [Paris]: GM Santé ; CNGE; 2011.